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mercredi 23 avril 2014

Les rencontres dans la ville de 2012 à 2013

Durant 2 ans, circulant dans les grandes villes, j’ai observé la diversité des objets installés dans l'espace public pour faire l’aumône, les sébiles. J'en suis venu à m'approcher et à discuter avec leurs propriétaires. J’ai d’abord été très surpris des accueils reçus. S'en est suivi le désir de relater ces rencontres, toujours différentes, par le biais d'une photographie et d'un écrit. J'ai collecté plus de 200 histoires.

Vous pouvez me contacter sur fdebresson@manteslajolie.fr

Voici des extraits de ces chroniques :





23 janvier 2012, Paris, métro La Chapelle.
Un monsieur assis dans le RER
C'est ma première rencontre. 
L'homme fait sauter sa sébile comme une poêle à frire. Les pièces font cling cling.
Comme il la pose à ses pieds pour manger, je lui demande si je peux la prendre en photo. 
D'un air amusé* il me fait signe qu'il est d'accord. 
Quand je lui montre l'image il éclate de rire. 
Alors que je m'éloigne par l'escalator, j'entends cling cling.
 *Je me suis dis par la suite que, s'il s'était fâché, je n'aurais certainement pas continué.


Même jour, Paris, rue Jean de la Fontaine.
Un monsieur à demi somnolent allongé sur le sol,
C'est le soir. L'homme à exactement le même objet* que celui du RER pour recueillir les pièces. Mais comme je lui demande si je peux le photographier il me congédie d'un geste brusque. Je remarque alors le chevalet avec le texte qui est posé à coté de la sébile et je refais ma demande. Il est  d'accord. Lorsqu'on regarde l'image prise il devient joyeux et lève les deux pouces vers le haut. On se quitte euphorique.

* Ce premier jour j'ignore que je vais trouver par la suite une complète diversité d'objets ou d'assemblages.


9 février, Paris, coté Saint Paul.

Un monsieur, 
L'homme est adossé à une banque, le chien au bout de ses jambes.

Il ne me dit rien et ne montre aucune réaction quand je photographie son installation.




13 février, Paris,RER la Chapelle. 
Il n'y a pas d'image.
Assis dans le couloir, un homme* a le dos appuyé contre le mur. Il n'a plus de bras. Devant lui la sébile est un cube de carton avec une ouverture carré sur le dessus. Elle est totalement emmailloté de scotch de chantier. Quand je propose de la prendre en photo, il met sa jambe devant et fait non énergiquement.
*Je l'ai recroisé deux fois par la suite. Il se nomme Ange.  Ces jours là il m'autorisera à photographier. Je n'ai jamais su pourquoi il a refusé mon approche si vigoureusement lors de notre première rencontre. 



13 février, Paris,RER la Chapelle.
Un monsieur, assis dans un couloir du RER
Il déploie soigneusement le mouchoir et pose les pièces une à une. Il ne dit rien et me laisse prendre la photo avec politesse.



 

Un monsieur
14 février 2012, Paris, rue Parmentier.
L'homme est debout dans la rue.
Comme je me penche pour photographier
il tourne le verre et dit « il faut voir le requin ! »




Une femme
14 février 2012, Paris, rue Parmentier.
Les trois objets sont bleu blanc rouge.
Assise contre un arbre elle sourit beaucoup.
Quand je lui montre les autres photos, en voyant la sébile au requin elle s'exclame "c'est mon mari.




BUBA, assise rue de la Pompe, trois rencontres entre mars 2013 et Février 2014. 
Elle ne parle pas et me laisse juste photographier les évolutions de sa sébile.



Une femme, 6 mars 2012, Paris, rue du Poteau.
Elle a posé l'écriteau sur une poussette.
Elle est chaleureuse et s'amuse beaucoup de la photographie.
Il y a une séparation au milieu entre chaque mot qui permet une autre lecture : « moi manger restaurant beaucoup ».


Christian, 13 mai 2012, Paris, boulevard Saint Michel.

C'est un grand jeune homme avec des longs dreadlocks qui lit assis sur le trottoir. Il a trois autres livres à ses cotés.

On entame une discussion au sujet des autres photos. 

Il s'exprime en bon anglais, moi comme je peux.

Il me demande si j’ai été voir dans d’autres villes.

Je lui dis que c’est la première fois que je vois un livre sébile.

Il me dit qu’il change selon les jours ●●●






26 novembre 2012
17 décembre 2012
29 juillet 2013
Marian
novembre 2012 à juillet 2013, Paris, bvd des Capucines.
L’homme marche de long en large à coté de son installation. Il passe du temps à déposer chaque pièce. Je suis frappé par ce désir de composition. On fait la photo ensemble. Il émet des sons étranges dont le sens m'échappe. La deuxième fois je le revois à coté d'une nouvelle présentation. Cette fois ci lorsqu'il regarde la nouvelle prise de vue, j'entends distinctement un mot : « correcto !». La troisième fois, assis devant une nouvelle installation, il me laisse son prénom.

Christian, 12 novembre 2012 à Paris, rue de Rivoli, 2ème rencontre.

Il est à moitié allongé avec un livre ouvert devant lui.

Je lui fait remarquer que la disposition des objets posés sur le sol ressemble à sa tête avec ses longs dreadlocks qui pendent.

Dans ses propos anglais j’entends “my father” et “work” et “book”.

J’acquiesce comme je peux. Il se redresse soudain et me donne son livre avec des explications qui m’échappent. Saisi par ce geste je repars, puis je reviens le voir pour lui laisser des crayons de couleurs qu'il accepte.

Le livre que j’emporte est un objet abîmé, les pages sont disjointes de la couverture, il y a encore le prix 2€, il est écrit en allemand, c’est un format poche, le titre : MARX ●●●
Le récit de la première rencontre est à la date du 13 mai 2012






Jeune homme 
13 novembre 2012, Mantes-la-Jolie, avenue de la République. 
Il comprend tout de suite ce que je veux et lui ne veut pas que je fasse de photo. Dans nos échanges approximatifs j’entends qu’il craint que je sois de la préfecture. Je sors un des carnets dessinés de mon sac et des crayons. Il change d’avis, alors on prend la photo côte à côte. 
A l’origine il y avait 4 pièces dans le panier. Juste avant que j’appuie sur le déclencheur, il en a retiré une et l'a remise après. Je lui ai proposé de garder le carnet de couleur, mais non, « ça allait bien comme ça ». et puis il lance “au revoir mon ami". 
Depuis je me déplace avec des carnets et des crayons de couleurs pour me présenter lorsque les mots sont impossibles.



Jeune homme, 28 mai 2013 Paris, assis rue du Faubourg Poissonnière.
Il pleut et nous discutons dans un anglais approximatif, réunis sous un parapluie qu’il tient. Il veut que je devine son âge car il se voit vieux.
A ses cotés il y a des coupelles taillés dans des fonds de canette : “c’est pour les touristes !”.  Il m’explique qu’il a construit cette sébile car dans le verre plastique on n’entend pas la pièce qui tombe.  Il a donc percé le fond et emboité le morceau de canette. Comme cela quand il somnole le cling l’alerte et il peut dire “merci”.






PIERROT,
7 mars 2013, Tours, rue Nationale.
Ce matin ensoleillé, dans la grande rue, je croise cette casquette au sol avec le dessus visible, ce qui inhabituel. Le jeune homme assis est coiffé d'une autre qui est greffée d’objets de métal. Comme je m’étonne de cette double présence il me parle de son grand intérêt pour les chapeaux. Il les améliore en y ajoutant des choses ou les collectionne pour leur beauté. Il est natif de la ville et me renseigne avec intérêt sur la façon dont il vit la manche ici et ailleurs. Il tient à me présenter son oncle qui passe là par hasard. C’est un ancien de la rue. Ils choisissent chacun une image parmi les photographies. Comme il s’ensuit une discussion un peu trop passionnée sur ce travail, le vigile du grand magasin auquel on est adossé nous demande poliment d’aller ailleurs.










Une femme
16 mars, 2013 Paris, rue Saint Antoine.
Elle vient de Charente maritimes, cela fait six mois qu’elle est à Paris. J’ai d’abord remarqué le verre rouge et ensuite le griffonnage. Comme on discute de cette trace elle dit qu’elle a arrêté de dessiner, atteinte par tous les commentaires fait sur ses images qui ne correspondaient à rien d’elle. Elle me demande si pour continuer il faut absolument passer par une école. Je réponds que non, que j'ai vécu cela après ma sortie des Beaux Arts, que j'ai cessé longtemps de dessiner pour les même raisons. On convient que c’est surtout une histoire de se reconnaître et de savoir préserver ce que l’on est. Il faut juste comprendre que finalement l’autre qui regarde ne parle que de lui. A cette condition le geste de l’image reste une porte ouverte aux échanges. Comme ce que nous faisons.  









Un groupe
8 avril 2013, Paris, avenue des Ternes. 
Je photographie la sébile sous deux angles auprès d’un homme assis qui reste muet. Un troisième homme nous rejoint. Il parle avec insistance de monnaie en me mimant le geste de donner quelque chose dans le gobelet de celui qui est assis. Je dis non et je lui présente mon travail qui est simplement de photographier. Il recule d’un pas, sourit et demande que je le prenne en photo. Je dis non car je m’occupe uniquement des objets ou des images lorsqu'ils me sont présentés par une personne.Tout cela déclenche une vague d’hilarité du groupe.




Un homme
25 septembre 2103, Paris rue du Havre.
Totalement ailleurs, il a juste accepté la photo d’un geste.




Robert
26 septembre 2013,  Paris rue du Havre,
Très présent, il s’exprime uniquement en anglais.
Pour la photo il extirpe le petit écriteau qui était dissimulé sous le grand.
Il confirme que c’est bien son graphisme.
On a pris le temps de les comparer avec celle des autres



Jacqueline
26 septembre 2103, Paris rue Tronchet, coffret (le premier que je vois).
Cette femme qui sombrait, elle s’est éveillée un instant
pour placer la pièce dans le gobelet du milieu et me dire son prénom.

 


GUY
27 octobre 2013, Paris métro Luxembourg.
Il voit mal d’ou l’écriture avec cette forme hachée.
Je lui dit que cela me renvoie à ma façon de dessiner.
Il me demande ce que je fabrique avec toutes les photos.
J’explique.
De posture taciturne, cela le fait légèrement sourire de savoir que j’envoie les chroniques à 200 personnes sur internet.



CHRISTIAN
13 novembre 2013 à Paris, Tour saint Jacquesi, 3ème rencontre.

Il a coupé ses longs dreadlocks. Cette fois ci nous conversons longuement en anglais. Il me demande si je connais l’auteur des beaux dessins d’Alien dont il m’écrit le nom sur mon carnet. Je me souviens que c’est une histoire d’accouchement qui ne se passe pas très bien et aussi qu’en regardant la créature de profil on peut voir une silhouette avec des dreadlocks.
La dernière fois il m’avait parlé du travail de son père qui avait un lien avec les livres. Cette fois on se quitte sur une histoire d’amour de trois ans qu’il a eu avec une femme qui travaillait dans une librairie ●●●



YANN
13 novembre 2013, Paris bvd Saint Michel.
Il aime écrire comme si il utilisait un mécanographe.
Il avait également pyrogravé un texte sur du bois pour proposer des petits services.
Il est désolé que la feuille soit un peu sale et aussi quand les lettres bavent à cause de la pluie. Du coup on parle de dessin, de l'encre, de la Chine.
Il est très content de savoir que ce travail a été exposé au ministère.
Il accepte de prendre un crayon très noir




THIERRY 
14 novembre 2013.
Il est dans le métro à Bastille, entre deux âges, une bière à la main.
Il dit que sa sébile est une vielle gamelle qui a connu des jours meilleurs.
Son rêve est de faire des achats dans une boutique du vieux campeurs.


Il sort de son sac à dos un tout petit bec de réchaud, mais il ne peut plus acheter de gaz.
Tout ce qu’il me montre renvoie à quelque chose du sport, d’un randonneur qui serait immobile.









Une femme
14 octobre 2013, Paris bvd Poissonnière, première mise en scène.
“Oh c’est bien de demander ! Des fois on me prends à mon insu et je n’aime pas être prise en photo, du moment que vous demandez, faites comme vous voulez, merci" : je suis tellement surpris par sa déférence que j’oublie d’échanger nos prénoms.



MICHAEL
14 octobre 2013, Paris bvd Poissonnière, une autre mise en scène.
Comme je demande à faire une photo il dit qu’il faut payer pour cela.
Mais comme je montre mon travail il dit que la femme au poney est une amie et qu’alors c’est d’accord sans échange monétaire. Il y a deux autres personnes assises à ses cotés qui demandent de ne pas apparaitre.
Je montre le résultat et ils sont d’accord. Pendant ce temps une femme laisse une pièce, prends tout le monde en photo, et s'en va sans rien dire.



19 novembre 2013, Paris avenue de l’Opéra.
Alors il y a eu d’abord OVIDIU qui m’a dit d’aller également voir sa femme CIONCA MONA TEODORA (on a parlé or et argent) qui m’a dit d’aller voir son beau frère PETROSSORI (mort de rire) qui m’a renvoyé sur AOURIKA et aussi PAOLINA et pour finir sur l’homme le plus âgé avec sa sébile en scotch qui a fait la tête que je laisse pas d’argent (comme souvent avec les objets scotchés) mais comme j’étais arrivé avec les prénoms de tous les autres, bon, j’ai pu quand même prendre son installation en photo.




TATIANA & RICHARD
1er décembre 2013, Paris rue du Faubourg Saint Denis.
C'est une première nocturne et ma dernière chronique.
Elle est russe et lui français. Ils vivent ensemble depuis 3 ans.
C’est elle qui s’occupe des comptes.
Comme on parle image, Richard dit qu’il aime surtout chanter alors je l’enregistre.
On parle une demi heure durant des mérites comparés des arrondissements de Paris, de leurs vies de couples, du SAMU SOCIAL.
Comme je me lève pour partir et les remercie de cette discussion, Richard me reprend : “on n’a pas discuté, on a conversé, c’est différent !”.